... MAIS ELLE PERDURE, LA FOLIE

photographie: mat jacob

mercredi 7 novembre 2012

le ciel s'était éloigné d'au moins dix mètres.

  depuis ma chute, je ne me rappelais pas avoir dormi. parfois, l'inconscience de la nuit devait interférer avec celle du sommeil, bien sûr; mais sans que cessent le film des images et le marteau régulier de la viande, à présent bien établie dans son nouvel état. des circuits s'étaient constitués, des cadences: dans ma cheville, soudain, quelque chose s'éveillait en chuintant, comme l'eau qui fuse d'un tuyau percé; d'autres sources se mettaient à gicler, puis toutes se rejoignaient et coulaient en se faufilant le long de mon corps. ou bien, la douleur faisait sa pelote au-dessus du talon, se roulant et se distordant lentement; lorsque la boule était prête - j'arrivais maintenant à en prévoir l'instant -, elle se brisait avec une sensation de lumière; et les éclats, traversant mon pied à toute allure, venaient exploser, en étoiles aussitôt éteintes, au bout des orteils. là, je respirais: il se passerait un bon moment avant la formation de la boule suivante. je n'avais jamais eu de fracture; mais je sentais bien qu'il y avait là-dedans une bouillie d'os et de chair bouleversés, et qu'il faudrait beaucoup d'art et de patience pour l'ordonner. à moins que...


l'astragale (pp 26/27) livre de poche (1968) albertine sarrazin

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire