... MAIS ELLE PERDURE, LA FOLIE

photographie: mat jacob

mardi 12 août 2014

Néon clignotant...

  La Mouche a planqué son héroïne dans un billet de loterie.
  Seringuette ultime - demain la cure.
  La route est longue. Erections et dépressions se succèdent sans discontinuer.
  De longues heures à travers la caillasse du reg pour atteindre la palmeraie (les petits Arabes font caca dans le puits, dansent le rock'n'roll sur les plages pour athlètes du dimanche, se gavent de hot dogs et recrachent des dents en or à pleines pépites).
  Edentés, rongés par la longue faim, les côtes en planche à laver leurs propres haillons, ils débarquent en titubant de la barge à balancier, arpentent la plage de l'île de Pâques, les jambes raides et cassantes comme des échasses... Ils dodelinent du chef à la fenêtre du club, empâtés par la fausse graisse des corps privés-sevrés qui n'ont plus de jeunesse à vendre...
  Le planeur glisse dans l'air, silencieux comme une érection, comme une vitre enduite de graisse qui se brise sous les doigts fripés d'un jeune voleur aux yeux dissous par la came... explosion ultrasonique du verre... il se faufile dans la maison violée, évitant les éclats de carreaux graisseux... tic-tac sonore d'une pendule dans la cuisine... soudain, un souffle brûlant ébouriffe ses cheveux et une charge de chevrotine lui fait jaillir la cervelle... le Vieux éjecte la douille vermillon, fait une pirouette en brandissant son fusil de chasse...
  - Merde, les gars, c'était facile comme tout... pareil que de pêcher un poisson rouge dans un aquarium... Quand même ! Un môme bien sapé, compte en banque et tout... Là-dessus un pruneau bien graissé et flac ! salut ma tête, il s'affale le cul ouvert... Hé le môme, tu m'entends bien là où tu es ?
  " Faut dire que j'ai été jeune moi aussi, j'ai entendu l'appel des sirènes... le fric facile et les femmes et les petits gitons au cul serré, et nom de Dieu m'échauffez pas le sang ou je vous en raconte une si raide qu'elle va vous mettre la paf au garde-à-vous et vous partirez à japper après la coquillette rose du con tout neuf ou la jolie chansonnette gicleuse d'un petit cul brun d'écolier qui vous joue sur la bite comme sur un pipeau... Désolé, môme, je voulais pas te tuer... On peut pas être et avoir été... si je veux garder mon public, faut que ça pète et tant pis si ça craque... tout comme un vieux lion qu'aurait les dents carriées, il lui faut la vraie bonne pâte machin qui vous fait mordre la vie à belles dents... ces vieux bâtards deviennet tous des mangeurs d'hommes et de garçonnets... et c'est pas étonnant vu que les morgues sont pleines à craquer de jolis gitons crevés... Allons môme, me fais pas le coup de la rigor mortis je connais pas le latin. Un peu de respect devant les rides de ma queue... le jour viendra où tu seras tout décati de la braguette toi aussi... hum, peut-être pas après tout... Bah, il y a des mômes qu'on peut pas tuer... on les a pendu si souvent qu'ils résistent comme un gonocoque à moitié châtré par la pénicilline et qui retrouve assez de santé pour se multiplier en style géométrique... C'est pourquoi je propose de voter l'acquittement légal et de mettre fin à ces exhibitions dégoûtantes pour lesquelles le shérif perçoit sa livre de chair..."
  Le môme tape du pied sur la trappe, noeud coulant au cou:
  "Bon sang, qu'est-ce qu'il faut pas supporter dans ce métier ! Y'a toujours un vieux cochon vicieux pour faire des discours."
  La trappe s'ouvre, la corde hante comme un fil télégraphique dans le vent, le cou se brise avec un fracas clair et sonore de gong chinois.
  Le pendu coupe la corde avec son couteau de poche et galope à travers la foire à la poursuite d'un pédé piauleur. Le pédé plonge à travers le carreau d'une visionneuse à films pornos et fait une pipe à un vieux nègre qui se la fend...
  Fondu...
  (Mary, Johnny et Mark viennent saluer. Ils ont tous trois la corde au cou. Ils n'ont pas l'air aussi jeune que dans le film, ils paraissent épuisés et à bout de nerfs.)



Burroughs, 1959


extrait du Festin Nu, pp.110/112, L'Imaginaire/Gallimard, traduction Eric Kahane

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