... MAIS ELLE PERDURE, LA FOLIE

photographie: mat jacob

mardi 21 octobre 2014

Batouque



Les rizières de mégots de crachat sur l'étrange sommation
de ma simplicité se tatouent de pitons.
Les mots perforés dans ma salive ressurgissent en villes
d'écluse ouverte, plus pâles sur les faubourgs
O les villes transparents montées sur yaks
sang lent pissant aux feuilles de filigrane le dernier souvenir
le boulevard comète meurtrie brusque oiseau traversé
se frappe en plein ciel
noyé de flèches
C'est la nuit comme je l'aime très creuse et très nulle
éventail de doigts de boussole effondrés au rire blanc des sommeils.


batouque
quand le monde sera nu et roux
comme une matrice calcinée par les grands soleils de l'amour
batouque
quand le monde sera sans enquête
un coeur merveilleux où s'imprime le décor
des regards brisés en éclats
pour la première fois
quand les attirances prendront au piège les étoiles
quand l'amour et la mort seront
un même serpent corail ressoudé autour d'un bras sans joyau
sans suie
sans défense
batouque du fleuve grossi de larmes de crocodiles et de fouets à la dérive
batouque de l'arbre aux serpents des danseurs de la prairie
des roses de Pennsylvanie regardent aux yeux au nez aux oreilles
aux fenêtres de la tête sciée
du supplicié
batouque de la femme aux bras de mer aux cheveux de source sous-marine
la rigidité cadavérique transforme les corps
en larmes d'acier,
tous les phasmes feuillus font une mer de youcas bleus et de radeaux
tous les fantasmes névrotiques ont pris le mors aux dents
batouque
quand le monde sera, d'abstraction séduite,
de pousse de sel gemme
les jardins de la mer
pour la première et la dernière fois
un mât de caravelle oubliée flambe amandier du naufrage
un cocotier un baobab une feuille de papier
un rejet de pourvoi
batouque
quand le monde sera une mine à ciel découvert
quand le monde sera du haut de la passerelle
mon désir
ton désir
conjugués en un saut dans le vide respiré
à l'auvent de nos yeux déferlent
toutes les poussières de soleils peuplées de parachutes
d'incendies volontaires d'oriflammes de blé rouge
batouque des yeux pourris
batouque des yeux de mélasse
batouque de mer dolente encroûtée d'îles
le Congo est un saut de soleil levant au bout d'un fil
un seau de villes saignantes
une touffe de citronnelle dans la nuit forcée
batouque
quand le monde sera une tour de silence
où ne serons la proie et le vautour
toutes les pluies de perroquets
toutes les démissions de chinchillas
batouque de trompes cassées de paupière d'huile de pluviers virulents
batouque de la pluie tuée fendue finement d'oreilles rougies
purulence et vigilance

ayant violé jusqu'à la transparence le sexe étroit du crépuscule
le grand nègre du matin
jusqu'au fond de la mer de pierre éclatée
attente les fruits de faim des villes nouées
batouque
Oh ! sur l'intime vide
- giclant giclé -
jusqu'à la rage du site
les injonctions d'un sang sévère !

Et le navire survola le cratère aux portes même de l'heure labourée d'aigles
le navire marcha à bottes calmes d'étoiles filantes
à bottes fauves de wharfs coupés et de panoplies
et le navire lâcha une bordée de souris
de télégrammes de cauris de houris
un danseur wolof faisait des pointes et des signaux
à la pointe du mât le plus élevé
toute la nuit on le vit danser chargé d'amulettes et d'alcool
bondissant à la hauteur des étoiles grasses
une armée de corbeaux
une armée de couteaux
une armée de paraboles
et le navire cambré lâcha une armée de chevaux
A minuit la terre s'engagea dans le chenal du cratère
et le vent de diamants tendu de soutanes rouges
hors l'oubli
souffla des sabots de cheval chantant l'aventure de la mort à voix de lait
sur les jardins de l'arc-en-ciel planté de caroubiers



batouque
quand le monde sera un vivier où je pêcherai mes yeux à la ligne de tes yeux
batouque
quand le monde sera le latex au long cours des chairs de sommeil bu
batouque
batouque de houle et de hoquets
batouque de sanglots ricanés
batouque de buffles effarouchés
batouque de défis de guêpiers carminés
dans la maraude du feu et du ciel en fumée
batouque des mains
batouque des seins
batouque des sept péchés décapités
batouque du sexe au baiser d'oiseau à la fuite de poisson
batouque de princesse noire en diadème de soleil fondant
batouque de la princesse tisonnant mille gardiens inconnus
mille jardins oubliés sous le sable et l'arc-en-ciel
batouque de la princesse aux cuisses de Congo
de Bornéo
de Casamance


batouque de nuit sans noyau
de nuit sans lèvres
cravatée du jet de ma galère sans nom
de mon oiseau de boomerang
j'ai lancé mon oeil dans le roulis dans la guinée du désespoir et de la mort
tout l'étrange se fige île de Pâques, île de Pâques
tout l'étrange coupé de cavaleries de l'ombre
un ruisseau d'eau fraîche coule dans ma main sargasse de cris fondus


Et le navire dévêtu  creusa dans la cervelle des nuits têtues
mon exil-minaret-soif-des-branches
batouque
Les courants roulèrent des touffes de sabres d'argent
et de cuillers à nausée
et le vent troué des doigts du SOLEIL
tondit de feu l'aisselle des îles à cheveux d'écumes
batouque des terres enceintes
batouque de mer murée
batouque de bourgs bossus de pieds pourris de morts épelées dans le désespoir sans prix du souvenir
Basse-Pointe, Diamant, Tartane, et Caravelle
sekels d'or, rabots de flottaisons assaillis de gerbes et de nielles
cervelles tristes rampées d'orgasmes
tatous fumeux
O les kroumens amuseurs de ma barre !
le soleil a sauté des grandes poches marsupiales de la mer sans lucarne
en pleine algèbre de faux cheveux et de rails sans tramway;
batouque les rivières lézardent dans le heaume délacé des ravins
les cannes chavirent aux roulis de la terre ne crue de bosses de chamelle
les anses défoncent de lumières irresponsables les vessies sans reflux de la pierre


soleil, aux gorges !
noir hurleur, noir boucher, noir corsaire  batouque déployé d'épices et de mouches
Endormi troupeau de cavales sous la touffe de bambous
saigne, saigne troupeau de carambas.
Assassin je t'acquitte au nom du viol.
Je t'acquitte au nom du Saint-Esprit
Je t'acquitte de mes mains de salamandre.
Le jour passera comme une vague avec les villes en bandoulière
dans sa besace de coquillages gonflés de poudre
Soleil, soleil, roux serpentaire accoudé à mes transes
de marais en travail
le fleuve de couleuvres que j'appelle mes veines
Le fleuve de créneaux que j'appelle mon sang
le fleuve de sagaies que les hommes appellent mon visage
le fleuve à pied autour du monde
frappera le roc artésien d'un cent d'étoiles à mousson.

Liberté mon seul pirate, eau de l'an neuf ma seule soif
amour mon seul sampang
nous coulerons nos doigts de rire et de gourde
entre les dents glacées de la Belle-au-bois-dormant.

in Les armes miraculeuses, pp 62/68, Poësie/Gallimard



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